Jour 32
Elle ne m'a pas dit "Bonne nuit" hier.
Et elle ne m'a pas dit "Bonjour" ce matin. Charmant...
Au boulot, j'ai frôlé la catastrophe. Dans la salle de pause, j'ai posé des questions à une fille - intégrée dans une session précédente - relatives au 1er contrôle des connaissances, auquels sont soumis les nouveaux embauchés, et qui a lieu demain après-midi.
Ni une, ni deux, la meuf ouvre son sac, arrache 3 feuillets qu'elle me met dans les mains, avant de se casser comme le vent. Enervée. Elle avait eu une mauvaise note. Je suis tout seul dans la salle de pause, avec, si ça se trouve le questionnaire du lendemain. Mais je n'en suis pas sur. Je me dis que si les formateurs n'ont pas ramassé ce questionnaire, c'est qu'il doit changer à chaque session. Dans le doute, je n'en parle à personne, et je garde les feuillets pour moi.
Mais à la fin de la journée, j'ai juste eu le temps de regarder la 1ere question... je m'apprête à partir, quand je croise une femme, près de l'ascenseur qui me sort :
- Dites-moi, j'ai entendu dire que quelqu'un de cet étage avait récupéré un des quizz de vendredi.
- (gloups) Euh... oui oui... c'est exact...
- Ah, et tu sais qui c'est ?
- (re-gloups) Euh... c'est moi...
- Ah, tu peux me le rendre s'il-te-plait ?
Et voilà, grillé.
Là, j'essaie d'expliquer le plus sincèrement du monde, que le quizz en question, m'est arrivé presque par inadvertance entre les mains. Que je pensais que le questionnaire changeait à chaque session.
Mais non, m'explique-t-elle. Le questionnaire est le même pour tout le monde.
Dix fois elle m'a fait jurer et répéter que je n'en ai parlé à personne, ni fait de photocopies etc.
A la fin, elle me dit de ne pas m'inquiéter, qu'il n'y aura pas de conséquences, que tout ça est finalement très humain. D'ailleurs, elle-même n'est pas très fière de ne pas avoir repris les "copies" en temps et en heure...
Après le boulot, j'ai eu beaucoup de mal à me décider à rentrer chez Véro. Dans ces cas-là, seule la fumette m'offre la possibilité de m'évader d'un environnement hostile dans lequel je suis prisonnier. Mais je n'avais pas de matos. Alors je déambule sur le parc Wilson hyper-fréquenté, en centre ville. Je m'asseois sur un banc. Il ne s'écoule pas trente secondes, quand 2 petits arabes viennent aussitôt s'asseoir à côté de moi. Ils m'ont bien flairé. Première question, directe :
- Tu veux combien ?
- Vingt euros.
- Okay, viens avec nous.
- Non, je reste là.
- Okay, bouge pas, je reviens.
L'un des gamins part chercher le matos.
Entre-temps, un grand balèze arrive. Course de vitesse. Il veut me vendre un bout à 50 euros, avant que le gamin revienne. Je trouve la portion un peu faiblarde, et je refuse le deal.
Le gamin revient avec des potes, tous en survet bien sur. Et là, je comprends pas ce qui se passe. Ils commencent à se disputer en arabe. Je vois pas où est le problème.
Finalement, un gamin me glisse dans la main un peu de chichon. Une fois encore, je trouve ça faiblard, mais j'ai trop besoin de ça ce soir, alors je prends ce qu'il me vend. Ensuite, il me propose son numéro de téléphone, histoire de fidéliser le client. Je ne sors pas mon portable. Je lui tends un paquet de Rizzla et un stylo, pour qu'il écrive sur le carton. Il a peut-être 12 ou 13 ans, mais il n'arrive même pas à écrire son nom, sans faute d'orthographe.
C'est alors que le grand balèze se lève de son banc, me pousse d'une main en m'accusant de faire des histoires, tandis que son autre main se glisse dans la poche de ma parka. Je suis plus rapide que lui, il ne me dérobe rien du tout, et je lui sors :
- Oh, qu'est-ce tu me fais les poches, toi !!
Là, il s'énerve. Il est prêt à en découdre. Moi je suis pas un violent, je recule un peu, mais hors de question de fuir comme un lapin. J'étais pris entre la peur de me bastonner, et l'envie qu'il me cogne la gueule, histoire enfin "d'exploser", et de lui fumer sa tronche dans dans un instant de folie incontrôlé.
Mais Yassine, mon petit vendeur, s'interpose, et calme le grand balèze.
Je repars en marchant, tranquillement.
Chez Véro, c'est de pire en pire. Depuis hier, elle a même expatrié la télé du salon où je dors, pour la mettre dans sa chambre. Et bien sur, pas un mot à mon égard. Elle me prend vraiment pour une grosse merde.
C'est décidé, je prends mes clics et mes clacs, et je me tire dès demain. Avec l'argent reçu par mon père, j'irai dormir dans un premier temps dans un petit hôtel, pas loin du boulot, à compter de dimanche soir. Et tout le week-end, je serai du côté de Carcassonne. Emmanuelle, une connaissance, m'a invité à une petite fête chez elle, et je peux toujours aller squatter dans la maison de Montolieu de mon cousin Wikki, actuellement en Argentine avec sa famille.
Véro m'a bien fait sentir que mon départ l'arrangeait. Il faut bien comprendre une chose : Véro est accablée de problèmes. Elle doit s'occuper de ses 3 enfants, elle est en instance de divorce, elle a des problèmes d'argent, et elle est loin de sa famille d'Evreux qui lui manque. Je peux comprendre qu'un grand dadais de mon genre soit un facteur de stress supplémentaire. Elle porte beaucoup sur ses épaules. Mais c'est elle qui m'a spontanément ouvert sa porte. Elle qui me répétait "y a pas de souci, y a pas de souci, y a pas souci" avant que je ne pose le pied chez elle. Je ne me suis pas imposé. A aucun moment, je n'ai pillé ses réserves alimentaires ou laissé trainer mes chaussettes, ou essayé de la sauter comme un malpropre. Au contraire, j'ai ramené une grande cagette de fruits pour ses enfants, je lui ai fait fumé mon herbe, j'ai filé de la bouffe de mon aide alimentaire, j'ai ramené des baguettes de pain, je l'ai raccompagnée en bagnole, je lui ramenais spontanément des brochures pour des aides sociales, je lui prêtais mes DVD etc. Bref, je ne me comportais pas en parasite pur jus. Elle, de son côté, m'a juste ouvert sa porte, avant de regretter son geste. Pour le reste, je trouve que ses enfants sont bien mieux élevés, et bien plus chaleureux qu'elle-même. Qu'elle aille au diable.
Ce soir, je fume pour moi tout seul le chite du petit Yassine, écouteurs aux oreilles, comme quand je dormais dans la voiture. Et comme prévu, je parviens presque à m'évader de cette atmosphère irrespirable...