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Journal, très court j'espère, d'un SDF de plus
17 décembre 2007

[64] Un foyer contre le froid

Jour 43

Retour à Toulouse, tôt dans la matinée, pour attaquer ma première vraie journée de taf.
La formation basique est terminée, et il est temps de se jeter à l’eau sur les plateaux d’appel, en « prod » comme ils disent ici. Heureusement, des « assistants plateaux », autrement dit des anciens, tournent en permanence pour venir à notre aide dès qu’une main se lève.

Ils nous ont dit que nous, les débutants, on devait prendre notre temps pour traiter les demandes, en fouinant dans l’intranet encyclopédique du groupe.

Plus facile à dire qu’à faire, quand on sait que client brûle son forfait avec une musique d’ascenseur pendant que le bizuth s'instruit.

Ma main se lève souvent, il y a rarement deux demandes identiques, hormis les paiements d’impayés par carte bancaire. Malgré toutes ces carences liées au manque d’expérience, je suis rassuré sur un point très important pour la suite des évènements : j’aime bien ce boulot alimentaire. Mélange de service et de technique, le cul au chaud, et machine à café gratuite. Ca me convient pour poser les bases de ma reconstruction, avant de lâcher mon dragster...

Le froid toujours aussi mordant a fini par vaincre mes réticences d’éviter les foyers d’accueil. Je dois bien dormir et éviter d’arriver au boulot comme un clochard. Pas une seconde, je n’oublie que je suis encore à l’essai, même s’il faut manifestement être très mauvais pour se faire virer.

J’appelle le 115, j’explique que je bosse Port Saint-Etienne. En quelques minutes, ils me trouvent un lit au foyer Riquet, à 5 grosses minutes à pied de ma boite.

Bonne nouvelle, mais une fois là-bas, je m’attends au pire, genre un dortoir dégueu de 40 personnes, avec des ombres la nuit qui furètent pour fouiller les sacs des honnêtes gens endormis, des clochards avinés jusqu’à la lie, des mares de gerbes, des bagarres, des gens qui gueulent à quatre heures du matin, des rapaces qui viennent te taxer toutes les dix minutes et autres carnavals de ce genre.

Arrivé sur place, j’ai pratiquement tout faux. Pan pour les préjugés !

Le foyer Riquet n’a rien d’un camp de réfugiés. Ca ressemble plus à des locaux associatifs de loisirs pour petits vieux ou handicapés. Mais c’est juste un foyer, fermé de 8h45 à 18h30.

J’arrive sur place bien après 19 heures, après avoir bouffé au Ramier. On m’informe très vite que le foyer ferme ses portes à 19 heures, mais comme c’est mon premier jour, l’équipe ne me pose aucun problème. En revanche, macash pour que je sorte rechercher des vêtements propres dans ma voiture. Si je sors, je ne rentre plus. Tant pis. J’imagine que cette sévérité horaire est faite pour empêcher les ivresses tardives du petit monde des SDF.

Inside, salle de douches, bibliothèque désuète, un poste internet bridé, une grande télé, un patio fumeurs, une machine à café, une dizaine de tables de 4 personnes, et des petites unités de 6 lits environ, pour un total de 40 pensionnaires environ. On me file 2 draps, une couverture, une petite serviette, et une paire de chaussette en dépannage (mes chaussures prennent l’eau).

J’arrive au moment du repas, et d’entrée, je trouve qu’il fait presque trop chaud dans ce foyer ! Sûrement la différence de température entre l’extérieur et l’intérieur. Le repas est pas trop mal : Entrée, plats chaud, fromage et dessert. Meilleur que le resto social du Ramier en tout cas.

Et puis surtout, aucune atmosphère de guerre civile. Ici, tout le monde est calme. C’est l’entente cordiale. J’essaie tout de suite de paraître à l’aise, mais je ne crois pas duper grand’monde. Premier jour, je reste en retrait, j’observe la population. Une bonne moitié ont vraiment la tronche cassée de SDF, alors que d’autres, malgré les fringues un peu élimés, font davantage illusion. Très peu de femmes, des hommes de tous âges, arabes et blancs ultra-majoritaires majoritaires, et un asiatique, Fouk, dans ma chambre.

La nuit tombée, sommeil difficile. Grosse gamberge. Je pense encore et encore à ma mère. Images encore en boucle dans ma tête, et qui descendent dans ma poitrine. Et puis, il y a type qui ronfle fort. Un autre s’énerve, et finit, dans l’obscurité par lui balancer un objet, une chaussure probablement. Impossible de dormir avant deux heures du mat’. Quelque part, je me sens pitoyable d’en être arrivé là, et j’imagine ma mère, blanche, penchée sur moi, triste pour moi d’être tombé si bas, avec un désir infini de consolation.

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